dimanche 8 avril 2012

La pertinence d'un outil, entre insuffisance et démesure - partie 1/2.

Dans une entreprise, dès qu’une problématique est identifiée et cadrée, la question se pose de savoir si on va recourir à un outil pour la traiter. Souvent, cette question est implicite puisque la réponse est “bien sûr que non” ou alors “évidemment oui”.

Si la réponse est “oui”, la question qui suit immédiatement est : sur quel outil va-t-on s’appuyer ?

Prenons quelques exemples pour illustrer cela et commençons d'ailleurs hors de l'entreprise - dans la vie courante - pour nous pencher sur la problématique suivante : faire des achats à la boulangerie.



Première situation : je dois acheter du pain. J'ai l'habitude de cette course (j'en achète régulièrement, et toujours dans la même boulangerie), je n'ai besoin de rien pour m'organiser et faire cet achat : je note ça dans un coin de ma tête. Disons que mon outil de gestion est : ma mémoire. Je pourrais éventuellement noter ça sur un bout de papier mais ce n'est pas très utile, le papier jouerait tout au plus le rôle de pense-bête.

Deuxième situation : je suis invité à un brunch chez des amis ce dimanche. Comme la boulangerie en bas de chez moi est réputée pour faire les meilleures viennoiseries du monde, j’ai la responsabilité de cet approvisionnement-là. Je dois donc faire des achats en tenant compte du nombre de personnes prévues. Malheureusement, ce nombre de personnes ne sera connu que la veille au soir, je sais seulement que nous serons entre 20 et 40. Le mieux est que je prévienne mon boulanger quelques jours avant, que je lui passe une commande ferme pour 20 personnes et que j'ajuste dimanche matin avec des achats supplémentaires lorsque je chercherai les viennoiseries commandées. Bref, la tâche est plus complexe. Gérer tout cela de mémoire reste faisable mais c'est un peu plus dur : comme les viennoiseries commandées seront dans des paquets dimanche matin, je ne les aurai pas sous les yeux et je ne me souviendrai pas forcément de ce que j’ai déjà pris. Ce sera pratique d’avoir noté tout ça sur un bout de papier : ce n'est pas indispensable mais ça simplifiera les choses.

Troisième situation, je fais ce brunch chez moi, avec autant de personnes. Je dois donc m'occuper de ces viennoiseries mais j’ai aussi plein d'autres achats à faire, au marché, chez le traiteur ou au supermarché notamment. Là, vouloir gérer ça de mémoire serait risqué : le papier devient indispensable pour tenir ma liste de courses.

Quatrième situation : je fais un brunch chaque dimanche chez moi, où j'accueille entre 20 et 40 personnes à chaque fois. Je vais avoir plusieurs choses à gérer, des invitations cycliques aux achats en gros en passant par l'approvisionnement régulier en viennoiseries. Pour ce point-ci, je peux encore m'en tirer avec une simple liste de courses sur papier. Mais il y a de nouveaux éléments à prendre en compte : d'une part je peux négocier des tarifs avantageux à la boulangerie, et d'autre part j'aimerais varier mon panier pour ne pas présenter chaque dimanche les mêmes choses. Autrement dit, gérer tout ça sur papier devient inconfortable : il va me falloir réfléchir autrement à la manière dont je veux gérer ce point.

Mais laissons cette dernière question sans réponse et revoyons ces problématiques sous l'angle de l'outil.

Ma mémoire : on pourrait dire que ce n'est pas réellement un outil dans la mesure où elle n'est pas tangible. Mais admettons que c'en est un : c’est sans aucun doute le meilleur outil pour la course simple et ponctuelle de la première situation. Il reste assez pertinent dans la deuxième (une course également pontuelle mais plus complexe). En revanche, il l’est nettement moins dans la troisième (le brunch chez moi), et je n'y pense même pas pour la quatrième (gérer tout ça de tête ? “bien sûr que non !”)

J’ai aussi recours au papier : il n’est pas indispensable dans la première situation, mais il peut être utile dans la deuxième et semble être la solution optimale face à la complexité de la troisième. Enfin, dans la quatrième situation, le papier est la moindre des choses.

Maintenant, modélisons !



Quelle est la pertinence d'un outil par rapport à la complexité de la tâche ?

C'est la question qui se dessine ici en filigrane. Raisonnons sur un graphique à deux axes : l'un, horizontal, pour exprimer la complexité de la tâche ; l'autre, vertical, pour exprimer la pertinence de l'outil.

Quelques mots sur ce que signifient ces axes. À défaut d'unité de mesure de la complexité d'une tâche (la métrologie fait ça pour les systèmes informatiques mais on raisonne ici au-delà de ce cadre), on pourrait imaginer une sorte d'échelle de complexité, comme l'échelle de Richter pour les tremblements de terre. De nombreux paramètres entreraient en ligne de compte, comme le nombre de sous-sujets qu'une tâche regroupe (acheter des viennoiseries, c'est aller à la boulangerie, choisir les types de pâtisserie, choisir la quantité pour chacun, payer, porter ensuite les paquets…), sa fréquence de répétition, les conditions de son exécution (plage horaire, délai maximal toléré, distance à parcourir, nombre de personnes disponibles), etc… Idem pour ce qui est de la pertinence : on pourrait envisager par exemple une échelle de 0 à 10, qui mesurerait simultanément l'économie de temps, le gain d'argent, la justesse de la réponse apportée, l’accomplissement de la tâche, etc. Mais n'allons pas plus loin sur ce sujet, ce n'est pas l'idée de ce billet.

Plaçons sur ce schéma des points correspondant à l’utilisation de la mémoire pour chacune des situations. Pour la 1° et la 3°, c’est simple : dans la 1°, la complexité est quasi-nulle et la pertinence du recours à la mémoire est maximale. Dans la 3° situation, la complexité est sensiblement plus grande et recourir à la mémoire est donc d’une pertinence quasi-nulle. La 2° représente une sorte d’entre-deux, à mi-chemin des situations n°1 et n°3. (Oublions la quatrième, pour laquelle nous avons dit “gérer tout ça de tête ? bien sûr que non !”)

Relions ces points pour matérialiser une courbe : celle-ci exprime la pertinence de l’outil mémoire en fonction de la complexité de la tâche.

Continuons, sur le même schéma, en plaçant les points correspondant à l’usage de l’outil papier pour ces mêmes situations. S’il est à peu près inutile pour la 1°, il est pertinent pour la 2° (légèrement plus que la mémoire comme on l’a souligné plus haut). La 3° voit le papier jouer un rôle d’une pertinence optimale. Mais dans la 4°, cette pertinence est déjà plus faible.

Reste à relier ces points :

(Remarque en passant : j’ai donné à chacune de ces lignes un tracé sinusoïdal. C’est un choix qu’on pourrait remettre en question, par exemple au profit de tracés rectilignes. Je ne vais pas justifier ce choix ici, afin de ne pas transformer ce billet en exposé de géométrie analytique. Posons qu’il est évident !)

À ce stade, effaçons les points et ne gardons que les courbes. Chacune exprime la pertinence d’un outil en fonction de la complexité de la tâche à accomplir, l’une pour l’outil mémoire, l’autre pour l’outil papier.

La seconde (en bleu) illustre l’idée suivante : un outil donné n’apporte pas de réponse pertinente à des tâches dont la complexité est inférieure à un niveau plancher. À partir de ce plancher, la pertinence de la réponse croît, jusqu’à atteindre un maximum, où l’outil est une solution optimale. Après ce point, la pertinence décroît jusqu’à être nulle en atteignant un niveau plafond de complexité puis au-delà.


--- Le prochain billet sera l’occasion de retourner vers le monde de l’entreprise. On y raisonnera non pas comme ici à partir d’un groupe de situations en y confrontant des outils, mais à partir des outils pour imaginer leur pertinence en réponse à des situations. ---

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